La
bataille des images fait rage sur les écrans et les réseaux sociaux autour de
symboles profanés
Les commentateurs ouvrent allègrement des boites de Pandore en parlant
d’insurrection et de guerre civile sans savoir ce que c’est
réellement. Pendant ce temps la France glisse dans la
confusion, la sidération et l’émotion.
Il y a 10 ans, quand j’ai écrit « Quand la France réagira…
», j’avais évoqué, comme le ferait un médecin de façon préventive, trois
symptômes pour qualifier la gravité de la crise qui caractérise notre pays à
savoir :
- Le symptôme argentin du fait de la courbe de la dette et
de la faillite des politiques publiques qui permettent de masquer le
déclassement du pays et de bloquer toute transformation de notre société afin
de maintenir l’illusion d’un train de vie.
- Le symptôme yougoslave avec l’émergence d’un divorce profond entre
la population et les élites qui provoque une implosion de la «
Res-Publica » et une fractalisation des cohérences et cohésions
territoriales.
- Le symptôme libanais avec des centaines de zone de
non-droit qui se sont enkystées partout dans les périphéries de nos
villes et agglomérations avec des logiques communautaristes et
religieuses qui sont devenues les nouvelles références autour de la propagation
rampante d’un islam radical qui s’est imposé progressivement en termes de
gouvernance.
Beaucoup se sont amusés de ce diagnostic. Aujourd’hui les mêmes « rient
jaune » avec les évènements de ces dernières semaines qui viennent déstabiliser
leurs certitudes intellectuelles et leur confort financier… Entre temps
la dette a explosé du fait de la crise de 2008 et surfe sur la
crête des 100% du PIB (selon les critères de Maastricht). Tous les spécialistes
tremblent à l’idée d’une hausse des taux et surtout d’une nouvelle
crise bancaire qui nous mènerait sur des pentes vertigineuses
dans les prochains mois. Le déficit public est pour sa part
devenu insoutenable et le déclassement de la France est tel en termes de
compétitivité que les quelques contrats d’armement ou d’avions ne suffisent
plus pour cacher la misère de notre comptabilité nationale.
Nous pouvons toujours dire que c’est de la faute des autres, des
Allemands, de l’Europe, du prix du pétrole … une chose est certaine,
notre pays connaît des difficultés chroniques pour garder son rang et surtout
pour créer de la vraie richesse…A force d’avoir
désindustrialisé et délocalisé nos actifs à forte valeur-ajoutée, il faut bien
finir par admettre qu’il y a un prix à payer notamment sur le plan
social. Certes il est facile, avec de l’argent quasiment gratuit, de
développer une économie consumériste avec des retours sur investissements
rapides, mais ces choix ne contribuent pas à créer des emplois et
n’enrichissent pas un pays.
Tout a déjà été écrit sur ce sujet et les experts n’ont cessé d’alerter sur ces
dérives, mais l’autisme réciproque des français et de leurs dirigeants est
catastrophique. Tout le monde a privilégié l’illusion d’un pseudo train de vie
à la promotion de l’effort, de l’innovation et de l’excellence. A l’arrivée il
n’y a plus assez d’argent dans les caisses et chacun y va de sa rhétorique
totalement infantile !
Quant au
lien Etat-Nation, le constat de tous les experts est
unanime : il est en implosion totale. Beaucoup dissertent sur l’absence
actuellement de relais crédibles et de médiateurs légitimes. Mais tout a été
fait pour appauvrir ces relais qui permettent un vivre ensemble intelligent et
durable. La baisse du niveau éducatif et culturel à tous les niveaux, la
suspension du service militaire obligatoire, le pouvoir des réseaux
d’influences, des lobbies, la médiocrité des médias et l’irruption des réseaux
sociaux… tout a contribué à tirer vers le bas les relations entre les citoyens
et ceux qui les représentent. Cette évolution de fond est très grave. Dans
l’Histoire ces processus se terminent toujours mal avec au mieux des formes de
résistances civiques au travers de l’émergence de collectifs plus ou moins
homogènes, voire des formes d’insurrections révolutionnaires autour des
injustices sociales et fiscales, comme nous sommes en train de connaitre, au
pire des guerres civiles lorsque le vivre ensemble devient impossible et
insoutenable, comme en Ex-Yougoslavie où les populations se sont entretuées
pendant dix ans sur des
questions identitaires, religieuses,
communautaires.
La question la plus préoccupante reste celle de la libanisation des marges
violentes de nos sociétés où les référentiels ne sont plus ceux de la
République et encore moins ceux de la Démocratie. Soyons clair, l’Islam n’est
pas soluble dans ces principes politiques et sociétaux que nous avons
progressivement mis en place au cours des siècles dans notre pays. Aujourd’hui
Il n’y a plus beaucoup de marges de manœuvre pour sauvegarder le vivre ensemble
sur ces espace-temps qui se sont affranchi de tout, à commencer par
l’autorité de l’Etat et de ses substituts sur le terrain. Cela
se traduit d’ores et déjà par des logiques de ghettos que nous connaissons trop
bien. Les événements avec les émeutes urbaines de 2005, dont peu de nos
dirigeants ont tiré les véritables enseignements, sont ceux d’une volonté de
franchise territoriale et d’autonomie politique. D’ores et déjà, dans certains
quartiers, nous ne sommes plus sûr des questions de respect de l’état de droit
mais sur l’imposition de fait d’une forme d’Etat quasi islamique à la place de
l’Etat français avec la charia comme cadre juridique.
Depuis 3 semaines, toutes ces réalités ont explosé sur les écrans de télévision
avec des manifestation émaillées
d’émeutes, puis
d’insurrections suffisamment violentes et préoccupantes pour déboucher
sur une situation d’urgence pour la sauvegarde de nos institutions.
Malheureusement Il n’y a aucune surprise dans le surgissement de cette forme de
catharsis sociétale et dans l’expression de ces violences protéiformes et
hétérogènes de tous les corps de la société. Nous avions déjà les germes en
2005 avec les banlieues, en 2009 avec "la lutte contre la profitassion" dans
les Antilles, les crises récurrentes autour des prix du carburant, les bonnets
rouges contre l’écotaxe, la question de la ZAD de Notre Dame des Landes … Tous
ces micros évènements ont constitué autant de laboratoires dans lesquels nous
retrouvons tous les ingrédients qui se coagulent et démultiplient
actuellement.
Alors pourquoi en sommes-nous arrivés à un tel niveau de colère, de haine et de
dégâts alors que tout a été diagnostiqué depuis longtemps et que tous les
symptômes auraient pu être traités très en amont ? La réponse est simple : il
n’y a eu aucune anticipation stratégique des vraies questions depuis 30 ans… La
responsabilité première incombe aux politiques, comme aux dirigeants du monde
économique, qui savaient exactement quels étaient les risques d’un non
traitement sur le fond des questions posées depuis les années 1975, dont la
fameuse transition écologique pour sortir de l’emprise des énergies fossiles,
jusqu’aux migrations de population… Ils savent tous depuis un demi-siècle quels
sont les rendez-vous et ce sur quoi il fallait anticiper pour mettre nos pays à
l’abri de tragédies collectives. Rien n’a été fait ! En revanche ils ont
tous préféré faire de l’argent en surfant sur les "dividendes de la paix" et
faire de la politique politicienne au jour le jour en redistribuant l’argent
public à tous les raquetteurs qui avaient parfaitement compris l’usage qu’ils
pouvaient en faire.
Cette forme d’imposture collective a finalement mis l’Etat en faillite. De fait
les corps intermédiaires se retrouvent d’eux-mêmes totalement décrédibilisés, à
commencer par
les syndicats, mais aussi toutes les
organisations représentatives du monde économique et autres agences
gouvernementales, qui ont bien vécu sans apporter de véritable valeur ajoutée à
notre économie et à notre société. Ils ont tous contribué depuis 30 ans à cet
affaissement de notre économie et à l’appauvrissement des relations sociales en
se cachant derrière une langue de bois et des pratiques qui valent les
meilleures heures du soviet suprême. Mais ne nous leurrons pas, Il y a aussi la
population qui s’est satisfait pour une bonne part de cette situation facile où
la réversion de la main invisible publique lui assurait une fausse quiétude et
prospérité. Malheureusement elle se retrouve aujourd’hui avec des enfants de
plus en plus incultes et démunis face aux exigences de la mondialisation et des
services régaliens dégradés, il suffit de regarder dans quel état se retrouve
nos armées, notre justice etc. A l’arrivée tous les ingrédients de ces
symptômes argentins, yougoslaves et libanais finissent par s’agréger pour
constituer un mélange explosif.
Le déclencheur des insurrections en cours tient en grande partie à cette
impasse démocratique qui a permis à une minorité de profiter
de la dislocation des blocs politiques, sous prétexte de "dégagisme", pour
ramasser le pouvoir. Lors de la dernière élection présidentielle il n’y a eu
aucun débat sur le fond. Ce ne fut que des parades séductrices avec des coups
de menton. De fait le débat se joue en ce moment dans la rue avec une troisième
mi-temps qui ne peut-être que violente. Les populations viennent de découvrir à
leurs dépens la face cachée des feuilles de route de l’exécutif en place… qui
auraient été aussi celles de leurs concurrents s’ils avaient pu prendre le
pouvoir étant donné qu’il n’y a plus rien dans les caisses…. Dès lors 80
% de la population vient enfin de comprendre que l’Etat est en faillite, qu’il
n’a plus aucune marge de manœuvre budgétaire et qu’il a besoin de se renflouer
d’urgence sur le plan financier en ayant recours à l’arme
fiscale dans un pays qui est devenu le champion des pays de
l’OCDE en termes de
prélèvements obligatoires (3) (46,2 % du
PIB) ...
Ceux qui ont pris le pouvoir sont incontestablement les plus intelligents et
brillants de la classe. Mais leurs préoccupations et orientations politiques
sont devenues totalement inaudibles pour les opinions. Leurs décisions se
comprennent sur un temps long qui aurait dû être celui de leurs prédécesseurs
au cours de ces 50 dernières années en termes d’anticipation stratégique. Mais
la population ne voit que la courbe immédiate de
la pression de la
fiscalité directe, et surtout indirecte, qui monte sans cesse au point
de poser désormais un problème budgétaire vital à des pans entiers de la
société. Du fait de l’appauvrissement et du déclassement du pays beaucoup ont
en effet glissé dans la précarité. Plus grave, ce qui contribue à alimenter la
colère sourde et la violence irrationnelle du mouvement des gilets jaunes,
beaucoup ont désormais peur de se retrouver aussi dans les prochains mois ou
années dans cette situation.
Certes il est louable et souhaitable de sauver l’Etat. Nous savons ce que donne
un pays livré au chaos total faute d’une colonne vertébrale. Mais
l‘Etat ne doit pas tuer la France et spolier les français.
Dans le contexte actuel qui peut déboucher sur une révolution convulsive et
mortifère, les Français ne sachant pas gérer leur contrat social, la seule
chose à faire est de remettre à plat le cadre fiscal et de retrouver équilibre
et justice. C’est vital. Des petits moratoires fiscaux ne servent à rien sinon
à entretenir et nourrir les prochaines révoltes sociales. Mais la
transformation du pays ne peut s’envisager qu’avec du temps, ce qui est
incompatible avec les urgences sociales et l’impression d’injustice sociétale
qui s’expriment depuis 20 jours. La véritable question qui se pose désormais
est celle de l’autorité politique pour arbitrer ce moment crucial où les
urgences et les priorités sont confondues dans un maelstrom de revendications,
de haines et de peurs.
Quelles que soient les astuces pour calmer les exigences des gilets jaunes
ou l’expression de la fermeté utilisée par l’exécutif pour endiguer la volonté
de destruction de nos institutions ou la tentation de pillage de nos
centres-villes, il faudra bien expliquer à un moment donné aux français que la
"fête est finie" et que nous allons entrer dans une autre temporalité où tout
le monde devra faire preuve de bon sens, d’intelligence et de frugalité pour
remettre les comptes en ordre et le pays en état de marche. Cela va supposer de
prendre des mesures drastiques, courageuses et douloureuses, comme l’ont fait
les Canadiens en leur temps, et d’arrêter cet effet de ciseau pervers, et
désormais catastrophique pour le pays, qui est celui de l’emballement de la
dette et de l’addiction au déficit public.
Tous les autres discours sur la transition sont cosmétiques et
idéologiques. La véritable révolution ne consiste pas à destituer violemment à
la Ceausescu notre monarque républicain, à rêver de 1791, à piller les magasins
et à discourir sur les plateaux de télévision sur une VIème République. La
véritable révolution, puisqu’il faudra bien la faire, nous n’avons plus le
choix face à la pression des évènements, devra être celle d’un nouveau pacte
fiscal et d’un véritable contrat social. Pour cela il faut retrouver à tous les
niveaux le langage du bon sens et de la responsabilité afin de ne pas tomber
dans l’insoutenable et le drame avec des insurrections qui déboucheraient sur
une guerre civile…
Ceux qui ont vécu Beyrouth et Sarajevo savent
ce que cela signifie. Nous ne sommes plus comme en 68 : le
monde de cette époque révolue revendiquait le partage de la cagnotte et ne
risquait rien.
Aujourd’hui il n’y a plus de cagnotte et nous risquons tout !
Source : Xavier Guilhou - « Quand la France réagira… » Eyrolles –
2007
Voir à ce sujet les excellentes analyses de l‘économiste Claude
Sicard, dont son dernier article du 5 décembre : « La France en révolte : faut-il compatir à la jacquerie des
gilets jaunes ? »
CGU :
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